O „Ucieczce” Mickiewicza
Abstrakt
Sur la „Fuite” de Mickiewicz
Par son sujet, la Fuite s’apparente à une longue série de poèmes populaires ou artistiques. De temps immémorial, on a connu des récits sur les revenants de toutes espèces (Iliade, Odyssée, Eddas, ballades populaires anglaises et allemandes, chants et contes slaves etc...). Aujourd’hui, cette matière de lé- gendes-contes est appelée le plus souvent motif de Lénore, selon le titre de la ballade de Bürger (1773), qui a été l’exemple le plus fameux dans la littérature artistique. On l’avait accueillie avec enthousiasme en Allemagne, elle fut traduite en anglais par Walter Scott; en Russie, Żukowski en fit une paraphrase (1808), en changeant la couleur locale ainsi que le titre qui devint Ludmiła. Dans les années 1818- 1824, il y eut en Pologne plusieurs imitations de ce poème (Niemcewicz, Lach-Szyrma, T. Zan, Odyniec).
Le sujet de Lénore unit le motif du mort (revenant, fantôme) avec celui de l’amour fidèle. Quand le fiancé de I’heroïne de Bürger ne revient pas de la guerre, celle - ci se livre au désespoir, elle blasphème, elle ne fait qu’appeler la mort qui l’unirait avec son bien-aimé. Elle en est punie. L’amant - fantôme l’enlève, effrayée et impuissante, sur son cheval qui les emporte au grand galop, tout droit vers la tombe. Les esprits qui les entourent prononcent dans un chant horrible la morale de son histoire; „souffre en silence, quoique ton coeur saigne! N’affronte pas le bon Dieu!” La situation est pareille dans la paraphrase de Żukowski et dans celles d’autres poètes. Dans la Fuite de Mickiewicz il en va tout autrement.
L’héroïne de ce poème ne désespère pas, elle ne blasphème pas, mais elle tombe dans un état de froide passivité. La douleur la consume. Sur le conseil d’une sorcière, elle a recours aux sortilèges, mais elle ne change pas d’attitude. Quand le fantôme apparaît, il n’est pas question, dans la conversation qui s’engage entre les deux amants, de forcer (comme chez Bürger) l’amante à le suivre immédiatement. Dans le poème de Mickiewicz, les amants se rencontrent en silence, iis se rappellent seulement pendant un petit moment le bonheur qu’ils avaient vécu ensemble („Słodko, prędko, czas ucieka”) et ensuite l’amant permet de choisir: ou bien „Adieu, ma chère”, ou bien: „Lève-toi, et suis- moi, sois pour toujours ma bien-aimée”. Et l’héroïne de Mickiewicz n’hésite pas un seul moment: contrairement à Lénore et à Ludmiła, dont les longues conversations prouvent l’inquiétude et le désarroi des idées, elle se décide de quitter la maison pour suivre son amant; les événements qui suivent exigent d’elle beaucoup plus de courage. Chez Mickiewicz, le fantôme n'a pas, comme celui de Bürger, les traits de malice et de sarcasme diaboliques. Néanmoins, dans l’ambiance de ballade, il devient bien vite évident que le chemin de cet amant mène à la tombe — et non seulement à la tombe, mais à l’enfer. L’héroïne de Mickiewicz s’est mise en route avec un livre de prières, avec des scapulaires, avec un rosaire et une petite croix. (Cette piété la distingue nettement de Lénore et de Ludmiła). Mais ces objets dè dévotion ne lui servent, dans la ballade, qu’à exprimer, en trois étapes, la décision qu'elle devait prendre devant l’alternative: aller aux enfers avec l’amant, ou suivre le chemin du salut toute seule. Et encore une fois l’héroïne de la Fuite, malgré son silence, ne montre aucune hésitation: tour à tour, elle rejette le livre de prières, les scapulaires, le rosaire et même la petite croix „que sa mère lui avait donnée”. Les commandements de la foi et les soins visant le salut de l’âme n’avaient pas du être négligeables chez elle, puisqu’elle s’est munie de la sorte pour son voyage, mais dans son coeur l’amour s’est montré plus fort que tout.
À la fin de la Fuite, il n’y a pas de morale, comme chez Bürger. Le poème se termine par un communiqué impersonnel. Le lecteur reste plongé dans l’horreur et dans la compassion.
Ce vers, qui dénote en apparence beaucoup d’affinités avec toute une famille de poèmes traitant le même sujet, se trouve être étonamment différent. Mickiewicz a fait de cette ballade un poème suggestif digne d’être compté parmi ses autres oeuvres parlant d’amour. L’héroïne qu’il avait choisie ressemble par bien des traits à ces héros déterminés qu’on trouve dans ses autres poèmes.
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