Szema Karola Péguy

  • Katarzyna R. Pereira University of Warsaw
Keywords: Bible and literature; Jewish-Christian dialogue; ecumenism; Cabbala; Cabala; Jewish mysticism; Mystères de Jeanne d'Arc; Péguy Charles; Le Porche du mystère de la deuxième vertu; Shema [Israël]

Abstract

[Abstrakt tylko w j. francuskim / Abstract only in French]

Shema de Charles Péguy

Beaucoup de biographes, amis et critiques de Péguy, constatent que sa vie et son œuvre sont indéniablement liées à la fois à Israël et à l’Église. Il est l’homme aux frontières et le précurseur de l’œcuménisme.

C’est avec les Juifs qu’il a fait ses premiers pas. d’abord dans la politique, ensuite dans la philosophie. Ses nombreux amis, collaborateurs et abonnés des Cahiers de la Quinzaine. étaient sinon de confession, au moins d’origine juive. Son grand amour était une Juive. 11 avait jusqu’à son «chapelain hébraïque», comme il appelait lui-même son ami, un juif observant, Edmond-Maurice Lévy.

Dans la Note conjointe de Péguy, devenue son texte ultime et restée inachevée, appa raissent «deux amis qui se promènent», L’un est juif, l’autre chrétien. Cette image, tout à fait banale et quotidienne, de «deux amis» qui «philosophent» ensemble malgré leurs différences, chacun restant soi-même et, néanmoins, faisant un effort pour essayer de «voir avec les yeux de l’autre», peut être comprise en tant que figure prophétique du dialogue judéo-chrétien et de celui des deux Testaments qui, aujourd’hui, semble voir le jour.

Tout en étant leur précurseur, Péguy découvre en même temps sa propre appartenance filiale à l’Église et le don essentiel du catholicisme, sa véritable richesse, la joie.

Le dialogue entre les «deux amis» correspond à celui qui peut s’instaurer entre les deux parties du Livre sacré, l’Ancien et la Nouveau Testament, en un processus décisif pour la réconciliation entre les deux peuples-héritiers de la Bible-Torah.

Ce désir de réconciliation est d’autant plus justifié que la plaie de la Shoah reste ouverte, Selon la vision du salut présentée par Péguy, qui est à la fois paulinienne et proche de certains mystiques juifs, plus grande est l’ouverture dans le cœur de l’homme suite à la souffrance, (celle-ci étant le fruit de son propre péché ou de celui des autres), plus grande peut être aussi la grâce qui s’y glisse.

La promenade de «deux amis», le juif et le chrétien, est à la fois une réalité palpable de la vie de Péguy et une figure symbolique qui exprime l’essentiel de la vocation de l’auteur. Elle est l’image de son dialogue interne, mais semble être également la promesse du meilleur dans le dialogue externe, devenu aujourd’hui possible.

C’est sous l’éclairage de ces recherches sur le dialogue œcuménique que nous avons choisi d’aborder Le Porche du mystère de la deuxième vertu de Péguy.

Péguy se révèle comme un annonciateur du dialogue, mais il s’avère aussi beaucoup plus que cela; en mystique, il pressent la dimension profondément trinitaire de celui-ci.

Les deux Testaments, en tant que deux pièces d’une même unité, deviennent eux-mçmes de véritables «symboles» (sumbolon en grec signifiant étymologiquement «morceau d’un objet partagé entre deux personnes pour servir entre elles de signe de reconnaissance»).

11 faut préciser le terme de symbole, dont l’usage est devenu ambigu. Tout au long de notre travail, il sera pour nous le porteur d’une signification «méta-physique» (au sens propre) et sacramentaire. Il s’agit donc d’un signe visible (étant lui-même une réalité palpable, un événement) qui rend réellement présente une réalité, d’un événement voilé, invisible. Dans cette compréhension du terme de symbole, il n’y a que deux pièces, soudées entre elles, d’une unique et même réalité.

Nous nous situons ainsi dans la ligne des traditions (sur ce point convergentes) judaïque et chrétienne. Dans les deux cas, le symbole diffère essentiellement de l’allégorie. Celle-ci n’est qu’une représentation de quelque chose d’exprimable par une autre chose, elle aussi exprimable, avec un nombre infini de signifiés.

Le symbolisme lisible chez Péguy se fait particulièrement transparent dans les textes de ses Mystères. Cette œuvre étant elle-même un grand dialogue dont l’auteur s’efface (il semble être à la fois Madame Gervaise et son interlocuteur, Jeanne d’Arc, figurant ainsi une véritable mise en scène trinitaire) porte, selon nous, scs marques les plus pertinentes. L’auteur se révèle non seulement comme l’homme du dialogue entre deux Alliances, T Ancienne et la Nouvelle, mais encore comme leur héritier. Cela transparaît sans cesse dans son œuvre. Il semble se mouvoir, à travers ces deux réalités selon un certain «code intuitif» que nous appe- lerions le Sherna. Ce verbe hébreu signifiant «écoute!» et «écouter» commence la prière juive Shema, Israël. Elle tire son appellation des premiers mots du texte du Deutéronome (6, 4-9): «Écoute, Israël: le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un!». Récitée tous les jours, matin et soir, elle est devenue la «profession de foi» juive par excellence.

«Écoute, ma fille», «Écoute, mon enfant», constamment répétés dans l’œuvre de Péguy, représentent une «mise en œuvre» de la situation existentielle et spirituelle de l’auteur.

Published
2019-08-08
Section
Articles